JACQUES COLLIN

Publié le par Real del Sarte

 
Interview > Jacques Collin,
vice-président Paris Business Angels

« Il faut doter notre pays d’un tissu d’investisseurs individuels »

Quelle est la mission de Paris Business Angels ? Son rôle se limite-t-il à un apport en capital ?
La vocation de Paris Business Angels est de faciliter le financement de la création d’entreprises sur Paris et sa région. Nous avons deux missions. Tout d’abord rassembler des investisseurs personnes physiques et ensuite identifier des projets de création d’entreprises innovantes susceptibles d’intéresser les membres de notre réseau. Nous fonctionnons un peu comme une plate-forme d’intermédiation. Nous offrons une liste qualifiée d’investisseurs aux créateurs d’entreprise, et les investisseurs, membres du réseau PBA, bénéficient eux d’un accès privilégié à des dossiers de qualité. Notre réseau, structuré en association, s’efforce d’assurer l’efficacité du processus de contact, d’analyse et de qualification des opportunités d’investissement, grâce à un grand travail de formalisation, d’organisation et de mutualisation des outils. Mais à aucun moment, nous ne jouons un rôle prescriptif et coercitif. La décision d’investir ou non reste du seul ressort des investisseurs.
Nombreux sont les entrepreneurs et les candidats investisseurs qui ne comprennent pas toujours la spécificité du rôle des business angels. Ces derniers n’ont pas pour vocation de se contenter d’un rôle de « prêteurs de deniers ». Leur degré d’implication résulte du caractère élevé du risque de l’investissement dans une entreprise innovante, tout particulièrement au stade de l’amorçage ou du décollage, qui nous intéresse.

 

La collaboration entre les business angels et les porteurs de projet repose aussi bien sur un apport en compétences qu’en capitaux. En effet, le business angel est un accélérateur de développement au service de l’entreprise et de l’entrepreneur aux côtés duquel il intervient. C’est une ressource supplémentaire, non rémunérée, permettant de développer les opportunités commerciales, humaines, financières, juridiques… Toutefois, si la contribution peut prendre diverses formes, elle doit respecter une limite : la non-ingérence dans le management direct de l’activité. 

Quel est le profil des investisseurs ?
Paris Business Angels compte un peu plus de 40 membres que l’on peut répartir en trois catégories. Tout d’abord les entrepreneurs qui, ayant réussi, réinvestissent une partie de leur pécule. Il y a ensuite les séniors qui souhaitent rester au contact de la vie économique en mélangeant leur capacité d’investissement et leur implication personnelle. Enfin, les cadres dirigeants d’entreprise en exercice - catégorie à laquelle j’appartiens- qui voient dans cette activité un complément utile pour faire fructifier leur expertise professionnelle et l’épargne engendrée par leur rémunération. Cette typologie se complète par une couverture sectorielle assez large en termes de compétences et de secteurs : technologies, services, distribution, marketing, internet. Sauf dans le domaine porteur de la santé et des biotechnologies où nous sommes un peu faibles.

Quels sont les critères qui permettent de différencier un bon d’un mauvais projet ?
Notre sélection repose sur plusieurs critères issus de nos convictions d’investisseur et du travail de formalisation effectué depuis deux ans. Pour être retenus et rentrer dans une phase d’instruction active de la part de nos membres, les projets doivent satisfaire des critères de «bon sens », à savoir une description claire de l’innovation (produit ou service) proposée, la pertinence du modèle économique envisagé, les compétences et la qualité du parcours de l’entrepreneur, ou de l’équipe, et enfin l’existence de besoins de compétence à apporter par les investisseurs recherchés.
A ceux-là, Paris Business Angels ajoute deux critères propres: la localisation parisienne ou francilienne des projets étudiés et la qualification au regard de nos critères de montant recherché (levée de fonds inférieure à 400 000 euros). Bien entendu, pour être en mesure de valider les projets, nous nous focalisons sur les secteurs d’activité que maîtrisent les membres du réseau. La rigueur du processus de sélection est bien caractéristique de l’investissement humain nécessaire pour apprécier la valeur d’un projet (et le niveau de risque afférent) pendant la phase d’amorçage.

Combien de projets ont été financés par le réseau Paris Business Angels et dans quelles branches?
Depuis son lancement en 2004, le réseau a contribué au financement de 24 jeunes entreprises, dont une grosse moitié interviennent dans les secteurs des services, logiciels et internet. Les autres sociétés sont spécialisées dans les médias, la communication, l’environnement et les biotechnologies. Le montant moyen investi est supérieur à 100 000 euros.

Pensez-vous qu’il est indispensable de conclure un pacte d’actionnaires ?
Notre recommandation est clairement oui. Il ne s’agit pas d’une position dogmatique mais le reflet d’une expérience, voire le témoignage d’une conviction qui inspire la spécificité de la démarche des investisseurs personnes physiques. La conclusion d’un pacte d’actionnaires permet, à travers la définition, et la discussion, des clauses constitutives, d’établir de manière forte l’affectio-societatis qui relie les investisseurs et le, ou les, entrepreneurs dans une même ambition de développer l’entreprise. C’est l’occasion pour se parler les yeux dans les yeux, et de décrire les droits et obligations respectifs pour les prochaines étapes du développement de l’entreprise. Notamment préciser les modalités de sortie des actionnaires. C’est donc un outil précieux de gouvernance.
D’expérience, le pacte d’actionnaires peut également se révéler un soutien précieux et un levier de valorisation de l’entreprise dans le cadre des deuxième et troisième tours de financement.

Combien de temps les business angels restent-ils en moyenne au capital d'une société ? Quelles sont les options de sortie privilégiées?
La question de la durée de présence au capital dépend très directement du rythme de développement de la société. Elle varie éminemment d’une situation à l’autre. Si l’intérêt des business angels est de valoriser leur investissement, et ce d’autant plus que le niveau de risque est élevé, le retour attendu ne peut l’être à court terme. Autant prévenir les spéculateurs que la patience est de mise. Cette présence au capital de la jeune entreprise doit être considérée comme un gage de stabilité par les entrepreneurs. Du moins pendant les premières années. C’est pourquoi, l’horizon d’investissement généralement observé est de 3 à 5 ans.
Les options de sortie les plus fréquentes sont la cession industrielle, l’accès au marché voire le rachat par les fondateurs. N’oublions pas non plus qu’il y a des sorties moins favorables comme la perte du capital en cas de dépôt de bilan.

Pourquoi la France est-t-elle à la traîne dans ce domaine comparé à ses voisins anglo-saxons ? Existe-t-il un facteur culturel qui expliquerait ce retard, en plus d’éléments fiscaux ?
A ce sujet, les chiffres sont éloquents. La France recense environ 3 000 business angels contre près de 50 000 en Angleterre et 500 000 aux Etats-Unis. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce retard : une émergence plus tardive des business angels comme acteurs du financement, un très net déficit de leur image en vertu du sacro-saint principe du « pour vivre heureux, vivons caché », et des réticences d’ordre fiscal – l’argent étant taxé deux fois avant d’être investi dans les jeunes entreprises.

Mais la principale réticence est d’ordre culturel. La France a longtemps mis l’accent sur le confort et la sécurité de l’emploi salarié au détriment de toute forme d’activité à risque. Selon un récent sondage, 48% des français (contre 41 % des européens et 60 % des américains) aspirent à ne plus avoir de patron et sont potentiellement des créateurs d’entreprise. Pourtant peu franchissent le pas. Ce qui les en empêche ? La peur de l’échec, qui contamine toute initiative. Cette phobie – fondée sur une erreur de notre système d’éducation : il n’y a pas de succès sans risque d’échec - pénalise également ceux qui seraient prêts à donner un coup de main financier et humain. Une autre spécificité française est la sous-capitalisation des petites et moyennes entreprises. Sur les 16 000 sociétés françaises ayant une croissance supérieure à 10%, seules 500 ont reçu un soutien en capital. C’est le signe d’une résistance encore trop marquée des dirigeants d’entreprise face aux possibilités d’ouverture du capital et à l’éventuelle contribution de business angels.

Claude Rameau, de l’association France Business Angels, entend multiplier le nombre de business angels par 15, voire 20, au cours des prochaines années, sans toutefois fixer d’échéance précise. Pensez-vous qu’un tel objectif est réalisable ? Si oui par quel moyen et à quel horizon ?
Le combat mené par Claude Rameau est animé d’une conviction simple : si la création d’entreprise, moteur de la croissance, de la création d’emplois et de richesses pour un pays, dépend du talent et de l’initiative des entrepreneurs, la question de son financement devient alors une priorité nationale. Chacun s’accorde aujourd’hui à dire que le financement de la création des entreprises innovantes présente un profil de risque que seuls les business angels sont prêts à prendre.

Dès lors, la nouvelle croisade a pour objectif d’encourager les vocations et doter notre pays d‘un tissu d’investisseurs individuels qui soutient la comparaison avec les grands pays économiques. La marge de progression est immense. Afficher une ambition forte, 20 à 25 000 business angels actifs à l’horizon 2012, est à la hauteur des enjeux. Les réserves de recrutement existent, qu’ils s’agissent des dizaines de milliers de millionnaires en euros que compterait la France selon l’étude Merrill Lynch Capgemini récemment publiée, ou des 300 000 foyers fiscaux assujettis à l’ISF ou bien encore des salariés des sociétés du CAC 40 dont la partie supérieure des effectifs (les 5% les plus privilégiés) forme un bataillon de 90 000 investisseurs potentiels.

A nous de savoir trouver les mots, les arguments et les outils pour les convaincre. Aux pouvoirs publics de poursuivre dans la voie du soutien financier et fiscal aux réseaux et aux investisseurs. Et aux entrepreneurs de gagner les parts de marché qui feront de leurs entreprises les vedettes de la croissance future et témoigneront de la vertu collective que représente cette prise de risque partagée.

Vous êtes vous-même business angel et plutôt heureux puisque vous avez investi dans Meetic, qui est devenue en quelques années une firme « mythique ». Quelles étaient les raisons qui vous ont incité à suivre Marc Simoncini dans son aventure, jugée à l’époque risquée?
En effet, on ressent une réelle satisfaction de voir l’un des investissements de son portefeuille salué par la reconnaissance publique de l’entreprise, sa forte notoriété, sa prise de leadership sur son secteur, la qualité de ses résultats et bien entendu le succès de son introduction en bourse. Mais surtout, tout est allé très vite. On se réjouit de voir ainsi récompenser la vision et les convictions du fondateur, Marc Simoncini, les orientations qu’il a prises avec son équipe et les efforts consentis par tous pour soutenir un tel rythme de croissance. En tant qu’investisseur de la première heure, on peut se flatter d’avoir rencontré l’opportunité et saisi le potentiel qu’elle recélait avant les autres. Surtout à un moment où (en 2002) plus personne ne croyait à Internet. Mais la pertinence du business plan (le seul à l’époque qui comportait un chapitre sur les risques encourus par la société !), le parcours d’entrepreneur de Marc Simoncini et la qualité du tour de table constituaient de solides atouts. Avec le recul, seul le mérite d’avoir misé gros en investissant à l’époque un montant équivalant à dix-huit mois de ma rémunération nette a une vraie valeur à mes yeux. Et la motivation n’en ressort que plus grande en vue de donner leur chance à d’autres aventures.

Le mot de la fin pour les milliers de business angels potentiels qui hésitent encore à franchir le pas.
A tous ceux que la prise de risque n’incommode pas, mon conseil sera simple. Pour faire le premier pas, il n’y a pas de meilleure recette que de rejoindre l’un des réseaux de business angels existants. Profiter de l’expérience de ceux qui sont passés par là reste le moyen le plus sûr de gagner du temps et de l’argent (ou d’éviter d’en perdre !) dans une activité qui est l’antidote parfait à la morosité et à la déclinologie ambiantes !


- 18 Aout 2006

Publié dans INTERVIEW

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